Newsletter 5 – Dans le jardin

Tous les jeudis, six de mes élèves me rejoignent en autonomie au CFA horticole et paysagiste de Saint Marcel.

Malgré ce que beaucoup pensent, nous ne passons pas une journée là-bas afin d’y faire de l’horticulture ou des espaces verts, non ! Certains de mes élèves sont titulaires de l’atelier cuisine de l’IME. Alors, pourquoi se rendre là-bas ? Que cultive-t-on dans un tel endroit ?

En premier lieu, nous cultivons l’acceptation du handicap ! Que nous venions d’un IME ou que nous soyons apprentis dans un CFA, nous avons tous notre singularité mais nous n’en restons pas moins des êtres humains !

Mes élèves ont changé le regard qu’ils avaient sur eux-mêmes. Le travail avec une des classes de terminale leur a fait prendre conscience qu’ils étaient avant tout des adolescents ! L’étiquette « handicapé » qu’ils se voient bien souvent attribuer n’est pas ce qui les définit. D’ailleurs, les apprentis ne savaient même pas ce qu’était un IME et n’avaient même pas remarqué que mes élèves étaient en situation de handicap ! Finalement, lorsque nous allons au jardin ramasser nos tomates, sont-elles toutes identiques ? Non. Leur forme varie, leur goût aussi. Et pourtant ! Pourtant, ce sont toutes des tomates !

En second lieu, les élèves de l’IME travaillent la socialisation en milieu ordinaire. Le travail avec la classe de terminale nous apprend à tous, enseignants, formateurs, élèves et apprentis, le vivre ensemble. Adultes comme adolescents vont devoir surmonter les différentes appréhensions rencontrées voire même parfois les préjugés.

Mes élèves mettaient sur un piédestal les apprentis. Et puis, ils entendent parler de certains apprentis qui n’ont pas respecté le règlement instauré et qui doivent être exclus quelques jours. Mes élèves en sont très étonnés. « Ici aussi on peut être renvoyé si on ne respecte pas les règles ? » « Même si on a un patron, on peut faire des bêtises ? »… Et puis, au détour d’un couloir, des formateurs du CFA félicitent mes élèves de leur politesse et de leur comportement. Alors, tout doucement, leur estime de soi se réinstaure et poursuit son développement.

De même, certains formateurs pouvaient être dubitatifs quant à notre venue. Était-ce vraiment notre place que de venir dans leur CFA ? Ils avaient une image figée de ce qu’étaient des élèves en situation de handicap. Et puis, petit à petit, s’est créé un espace pour nous où tout le monde a sa place et peut interagir ensemble.

Apprendre à vivre tous ensemble, comme les légumes d’un même potager. La présence des uns n’empêche pas le bon développement des autres. Malgré les différences de variétés, chacun trouve sa place et peut croître paisiblement, au fil des saisons. N’oublions pas que certaines graines semées au printemps donneront de bons légumes l’été mais que d’autres, plus lentes, nous nourriront en hiver. Respecter le rythme de chacun et accepter les différences de développement fait partie du métier de jardinier tout comme celui de l’enseignant !

En troisième lieu, mes élèves développent la construction de leur identité personnelle en tant qu’individu et adolescent. Côtoyer les apprentis et les formateurs, s’adapter à un nouveau lieu et à son fonctionnement, évoluer avec de nouveaux repères leur permettent d’accéder à un statut d’élève en milieu ordinaire. Ils peuvent ainsi s’épanouir dans un milieu autre que celui protégé dans lequel ils ont l’habitude d’évoluer. De plus, être capable de se rendre au CFA, en autonomie, leur prouve qu’ils en sont capables. Quelle satisfaction ! Leur confiance en eux ne fait qu’accroître !!! Certains ont eu et ont encore besoin, telles certaines plantes, de tuteurage. Cela leur permet progressivement d’atteindre un degré d’autonomie et de prendre conscience de leur potentiel et ainsi acquérir de l’assurance, jusqu’au jour où ce tuteur n’est plus nécessaire.

Toutes ces choses leur demandent une capacité d’adaptation certaine. Leur faire remarquer est essentiel afin qu’ils puissent être fiers d’eux. Toute leur vie, ils devront s’adapter et apprendre à vivre avec la présence de nouveaux collègues, à un nouveau lieu de vie, à la perte d’une personne qui leur est chère, à vivre avec un virus, etc…

Pour conclure, je dirais que notre rôle d’enseignant est d’accompagner les élèves d’aujourd’hui pour qu’ils deviennent des adultes épanouis et responsables de demain.

Tels des jardiniers attentionnés, les enseignants observent leurs plantes pousser et leur offrent ce dont elles ont besoin pour qu’elles puissent s’épanouir.

Observer leurs élèves permet, aux enseignants, de cultiver au mieux leurs qualités humaines.

Chaque enseignant est un jardinier qui se veut optimiste pour ses élèves. Une sorte de semeurs de graines, conscient que toutes ne germeront pas. Libres à chacun de nos élèves d’arroser ces graines, et de leur apporter tout le soin nécessaire afin qu’elles germent. Certains élèves auront besoin de tuteurs, d’autres d’un peu plus d’engrais. L’essentiel étant de nourrir chacun d’eux en ouvrant leur esprit à d’autres choses dont ils n’ont pas forcément accès.