Parler et se parler quand on est sourd ou malentendant

Parler et se parler quand on est sourd ou malentendant

La communication revêt une importance particulière et un enjeu très important pour les personnes sourdes. Considérons ici que la communication va se développer sous plusieurs  modalités, en fonction du type et du degré de surdité:

  • la communication non verbale, donc exclusivement basée sur la Langue des Signes Française (LDSF), qui, rappelons-le, est un mode de communication à part entière, avec sa propre syntaxe. Les personnes utilisant ce mode de communication vont quasi exclusivement échanger entre elles (communauté sourde) mais beaucoup moins avec les personnes oralisantes (barrière de la langue). Précisons aussi que ce mode de communication, en plus d’être basé sur la LSF, fait largement appel aux mimiques faciales. Comme l’importance primordiale de la prosodie (intonation, débit et « rythme » de la parole, nuances dans l’intensité…) chez les oralisants, ces expressions faciales sont tout autant cruciales pour faciliter la compréhension. D’ailleurs, la gestuelle chez les oralisants renforce beaucoup les indices donnés par la voix. Dans un groupe de personnes signantes, il est très facile de former des duos/trios… qui vont parler en même temps de choses totalement différentes, alors que dans un groupe oralisant, si plusieurs personnes parlent en même temps, le brouhaha engendré empêche la bonne intelligibilité des discours. La LSF, au même titre que le français oral, permet donc de parler et de se parler, mais uniquement entre personnes maîtrisant la LSF. Notons cependant que les mimiques gestuelles, associées aux expressions faciales, peuvent permettre une communication basique entre oralisants et signants.
  • la communication verbale : Le développement et l’acquisition du langage oral chez les personnes sourdes, mais appareillées ou implantées, va se faire à divers rythmes, en fonction de la précocité du dépistage ainsi que du type de surdité et du gain prothétique engendré par l’appareil ou l’implant. Ces outils vont, dans la plupart des cas, permettre une réception des indices acoustiques. Mais réception/perception ne veut pas dire compréhension : la personne appareillée/implantée va devoir apprendre à mettre du sens sur ces sons, et c’est là tout le travail de l’orthophonie. Plus le dépistage est tardif, plus le bain de langage est retardé (il peut être absent ou parcellaire, en fonction du degré de la surdité), ce qui a des conséquences énormes sur l’acquisition de la parole. Il est donc fréquent que chez ces personnes, l’intelligibilité et la prononciation du langage émis soient impactées : syntaxe approximative, phonèmes mal prononcés, stock lexical faible, prosodie absente… Tous ces obstacles vont compliquer la compréhension de l’interlocuteur de la personne sourde.

On constate quasi systématiquement un décalage entre la réception du message oral et la production : alors que la réception et la compréhension de l’oral peuvent être satisfaisantes, la production orale arrive souvent bien après, en étant de plus impactée négativement. A l’inverse, il est possible de rencontrer des personnes qui, ayant été appareillées ou implantées très tôt (quelques mois après la naissance), vont parvenir à une production orale sans aucun préjudice. Il sera plus difficile à l’interlocuteur de « soupçonner » une surdité.

Une personne sourde, à la condition que des outils de compensation soient mis en place rapidement et qu’il y ait un suivi permettant un bénéfice optimal de ceux-ci, va donc pouvoir communiquer oralement avec un interlocuteur. Cependant, il faut des conditions particulières pour favoriser et optimiser la réception et la compréhension de la personne sourde en situation de communication :

    • Avoir un seul interlocuteur, si plusieurs personnes parlent en même, il n’y aura quasiment aucune compréhension par la personne sourde, et bien souvent elle restera passive et n’osera pas parler, par peur d’être moquée car elle évoquera quelque chose totalement hors contexte.
    • Limiter au maximum les bruits parasites ambiants. L’utilisation d’un micro HF par tout interlocuteur (professeur, camarade, parents…) est une vraie aide pour la personne malentendante : la parole sera bien mieux mise en valeur, plus distincte, et les bruits parasites seront diminués.
    • Utiliser au maximum les mimiques, les expressions faciales, ne pas hésiter à « théâtraliser » son discours… tout indice visuel sera une aide précieuse et participera à un contexte plus compréhensible pour la personne. A ce titre, le français signé, lorsque les personnes en situation de communication ont un petit bagage de signes, est très aidant également.
    • Au lieu d’utiliser un vocabulaire trop simpliste, essayer d’appuyer les mots techniques, peu fréquents par l’emploi de plusieurs synonymes. Faire de même lorsqu’un livre est lu à la personne.

Pour finir sur la communication avec une personne sourde, il est très rassurant pour elle de ne pas se sentir dévalorisée (ne pas montrer d’agacement ou de comportement moqueur lorsque l’on ne comprend pas bien les mots qu’elle emploie). Rappeler fréquemment que faire répéter un mot n’est pas gênant. Ne pas croire que si la personne est appareillée ou implantée, elle entend tout et comprend tout : être plus vigilant, s’assurer de la bonne compréhension au fil de la discussion.

Par notre attitude, on peut donner envie à la personne sourde d’entrer en communication : aller vers elle, ne pas commencer en la questionnant sur sa surdité. La prévention joue un grand rôle : la personne sourde prendra très rarement les devants et n’osera pas parler de ce qu’elle ressent. C’est pourquoi, en accord avec elle, il est bénéfique de venir discuter avec la classe de ce handicap. On constate un soulagement important chez la personne sourde et une bienveillance naturelle de la part de ses camarades va ainsi l’encourager à rentrer encore davantage en communication, et à être beaucoup moins sur la défensive.

 

Thomas GÉRARD,
enseignant du CROP
Centre Ressource de l’Ouïe et de la Parole