Monsieur le directeur académique, merci de nous consacrer un peu de temps pour répondre à quelques questions.
M. Ben : Parler, se parler, c’est profond, cette thématique. Cela peut nous conduire bien au-delà des situations de handicap. Ce travail que vous conduisez, il est finalement valable pour tous… C’est important. |
En cette période de crise sanitaire, que vous évoque le fait de devoir parler avec un masque ?
M. Ben : Je trouve qu’on redécouvre les autres de façon différente. Le masque nous prive d’un certain nombre de composantes de la communication. On redécouvre les yeux, les gestes. Pas le toucher, bien sûr, qui est mis à mal par les gestes barrière. On perçoit davantage le rôle des lèvres maintenant qu’on ne les voit plus. Cela modifie l’aspect émotionnel de l’échange. |
Vous évoquiez le lien entre détention de la parole et le pouvoir. Est-ce que ceux qui ne parlent pas, ou peu, n’en ont pas ? On rencontre parfois des enfants non ou peu verbaux. Comment prendre en compte ce qu’ils ont à dire ?
M. Ben : Celui qui a la parole exerce un certain pouvoir, c’est évident. Le pouvoir de capter l’attention, le pouvoir de transmettre. Je crois que ces élèves non-verbaux parlent autrement, par une communication non verbale, avec le regard, le toucher… Selon leurs capacités d’expression, ils exercent un pouvoir sur le destinataire du message. Cela renvoie à la diversité des situations de langage. |
Vous évoquez le non verbal dans l’échange. Peut-on parler sans mots ?
M. Ben : Bien sûr, on peut parler sans mots. Pédagogiquement, les yeux, le regard, sont très utiles. La prise en compte du non verbal est fondamentale. Dans la relation pédagogique, un des constituants du lien entre les élèves et le maître, c’est le regard porté sur les enfants, la reconnaissance de chacun d’eux. Maintenant qu’on ne distingue plus les expressions du visage, cette dimension est encore plus importante. |
Dans un échange non-verbal, qu’est-ce qu’on risque d’interpréter ? Dans l’enseignement spécialisé, cela nous questionne chaque jour.
M. Ben : Dans un échange, on risque toujours d’interpréter. Il n’y a jamais une, mais des lectures, des écoutes, des interprétations. On n’a pas l’habitude de gérer son regard. Il faudrait s’astreindre à la même régulation pour le regard que pour la parole, où l’on porte son attention sur le contenu et sur la forme. |
L’équipe de circonscription ASH a la volonté de donner de la place à la parole. Pour parler le handicap, nous engageons des actions particulières, chaque 3 décembre, pour marquer la Journée internationale du Handicap. Quel regard portez-vous sur ces actions ?
M. Ben : Le même regard que je porte sur toutes les situations extraordinaires qui n’ont de sens que si elles relaient un ordinaire quotidien. Ce qui est frappant dans ce qui est mené ce jour-là, c’est la mise en valeur d’un travail de plus longue haleine, qui renvoie à des valeurs, bien sûr, mais aussi à un travail ordinaire quotidien, qui trouve là un terrain d’expression maximal. Je suis pour ce genre de journées, dès lors que, derrière, ou en amont, il y a un travail de fond. Toutes les manifestations organisées à la DSDEN à l’occasion de la journée du handicap ont été l’occasion, pour les personnes qui y participent, de découvrir une réalité par des situations proches. Cela met en avant les immenses richesses du travail mené par votre équipe, que ce soit en termes de formation des équipes enseignantes, ou dans les établissements, les dispositifs d’inclusion, ULIS et SEGPA, les établissements spécialisés. Cette mise en valeur est fondamentale. D’ailleurs, le fait que l’animation se traduise par une installation, au sens artistique du terme, que ce soit sur le plateau, voire au-delà (pour cette année, nous espérons mobiliser les autres administrations hébergées à la cité), c’est à mon sens un moment indispensable de la vie du département. Chaque fois que j’ai pu participer à ces ateliers, j’ai tiré beaucoup de bonheur à la vue de cet engagement. Le message, c’est qu’au-delà de l’installation, qui est extraordinaire, il y a cet ordinaire qui montre qu’il y a plus de choses qui rassemblent que de choses qui différencient. Je ne conçois la prise en compte de la situation de handicap qu’à partir du moment où on s’appuie sur ce qui nous rassemble, nous rapproche, pour ensuite travailler sur ce qui nous différencie et qui peut justifier un traitement spécifique. Cette journée-là a vocation à rappeler tout ça. Elle nous montre qu’après tout, on peut tous contribuer, on peut tous agir. Et ça, c’est formidable. |