Regards croisés sur l’accessibilité des apprentissages en classe.

L’anthropologue Charles Gardou définit l’école inclusive comme la construction d’une « maison commune » au sein de laquelle chaque élève, dans toute sa singularité, a d’ores et déjà sa place. Il invite à travailler de l’intérieur des « plans inclinés de tout ordre », à savoir des aménagements, notamment pédagogiques, ajustés aux besoins de chacun et favorisant les apprentissages de tous.

Comment alors édifier cette maison commune ? Comment  faciliter l’accès aux apprentissages pour tous? L’enseignant de la classe doit-il affronter seul la difficulté de ses élèves à Besoins Éducatifs Particuliers (BEP), ou n’y a-t-il pas là une formidable occasion de croiser les regards entre professionnels et de construire à plusieurs l’espace-classe ?

Dans cette maison commune qu’est l’école, l’enfant est membre d’une classe, soit d’un groupe de pairs ayant généralement le même âge que lui et engagés dans la même maîtrise des éléments d’un socle lui aussi commun. Défendre l’idée d’une maison pour tous, c’est aussi faire la promotion d’une logique d’accessibilité des apprentissages (des situations pédagogiques, des supports….) au sein même de cette classe, permettant la réussite de chacun, notamment des élèves à besoins éducatifs particuliers.

Or, si les enseignants responsables des élèves suivis par le RASED ont vocation à penser et construire cette logique d’accessibilité, les enseignants spécialisés à dominante pédagogique en sont également les promoteurs et les co-constructeurs. Par leur regard, leur expertise, leur accompagnement des élèves en difficulté, ils concourent, avec l’enseignant de la classe, à la réflexion concertée sur les pratiques de classe. C’est ce que défendent Laurent Lescouarch et Serge Thomazet*, tous deux membres du Conseil Scientifique de la Fédération Nationale des Maîtres E (FNAME). Pour les deux chercheurs, certaines pratiques de classe accroissent parfois les difficultés des élèves, particulièrement de ceux qui en souffrent déjà. A contrario, ce regard croisé permet l’élaboration de méthodes pédagogiques et la construction de stratégies permettant de dépasser les difficultés éprouvées face à certaines activités en les rendant à la fois plus accessibles et donc profitables à tous, particulièrement aux plus fragiles. Les variables contextuelles sont particulièrement explicatives dans les travaux portant sur les inégalités de réussite à l’école.

Pour l’ancien maître E Laurent Lescouarch, dont les travaux de recherche portent sur la co-intervention des enseignants du RASED, cette rencontre des points de vue est rendue possible tout d’abord par le dialogue, le débat sans jugement. C’est par la confiance réciproque que chacun s’autorise à exposer sa pratique et ses réflexions à l’avis de l’autre, cette mutualisation étant favorisée par la co-élaboration d’un projet commun.

Cette rencontre est également rendue possible lorsque l’enseignant à dominante pédagogique du RASED a accès à l’espace-classe. Là, par son observation de l’élève in situ, il apprécie d’autant mieux le contexte dans lequel évoluent les élèves (pédagogie mise en œuvre, dispositifs et supports proposés, etc.), et par sa co-intervention in vivo, les aptitudes et difficultés de chacun (interactions, connaissances, stratégies utilisées, attitudes) et notamment de l’enfant en difficulté. Cette immersion dans un des principaux lieux d’apprentissage lui sert de base de réflexion, avec l’enseignant de la classe, pour envisager conjointement des stratégies et des outils adaptés aux besoins des élèves, et compatibles avec les pratiques de la classe. Elle lui donne également des pistes, s’il intervient en regroupement d’adaptation, pour aider l’enfant à se projeter vers sa réussite lorsqu’il retrouve ses pairs (transfert des apprentissages du regroupement d’adaptation vers la classe).

Tout le monde bénéficie de ce regard croisé. D’une part, les études et comparaisons internationales montrent que la recherche d’équité se traduit par une meilleure efficacité globale de l’enseignement. Ainsi, la prise en compte des difficultés scolaires de certains profitera à l’ensemble du groupe. D’autre part, pour Laurent Lescouarch, avec ce regard croisé, l’enseignant de la classe, ne se retrouve plus seul face aux situations qu’il propose et qui parfois peuvent entraver la réussite de certains élèves de la classe, éprouvant ou non des BEP. La co-intervention avec l’enseignant du RASED peut également faciliter l’observation des difficultés des élèves, par exemple, avance le chercheur, lorsque l’enseignant du RASED prend momentanément en charge le groupe permettant à l’enseignant de la classe d’observer plus finement ses élèves en situation. De ces moments partagés peut naître une émulation nouvelle autour de la compréhension des différentes problématiques.

La construction de cette maison commune est donc une co-construction. Dans un rapport de confiance mutuelle, en se retrouvant dans l’espace-classe, enseignant du RASED et enseignant de la classe, mettant en commun leur expertise, concourent conjointement à l’évolution positive du contexte d’apprentissage, et cela en faveur de la réussite de tous.

                                                                                                                                                                                         * Intervention au colloque de la FNAME à Niort, octobre 2020.

Vincent Castagnino, RASED Chalon Nord
Candidat libre au CAPPEI.
Manuel Buttard, RASED Gergy
Enseignant spécialisé, chercheur associé à l’IREDU
(Institut de Recherche sur l’Éducation, Université de Bourgogne)